dimanche 14 octobre 2012

Guantanamo, une ville avant tout


Chronique publiée le dimanche 14 octobre 2012 dans la Marseillaise à l'occasion de la sortie du livre "GUANTANAMO" de François Missen aux éditions Max Milo.



Guantánamo, à l’est de Cuba. Depuis 2001, ce nom rappelle l’une des pires mesures de l’administration Bush: l’ouverture de la prison des Talibans en dehors de toute loi internationale, implantée sur une base occupée elle aussi illégalement par l’armée américaine depuis 1903. Mais Guantánamo n’est pas un livre sur la prison, ni la base. Il est plutôt la clé des portes de la ville qui souffre depuis plus d’un siècle de ce destin lié à l’Empire. "Les États-Unis avaient été plutôt bien accueillis car ils avaient chassé les Espagnols. Sauf qu’ils en avaient fait ensuite un protectorat" explique François Missen.
"Après la chute de l’URSS, Cuba s’est ouvert au tourisme pour s’en sortir" ajoute-t-il. "Il y a eu un déferlement, on allait à La Havane ou à Santiago, mais pas à Guantánamo. Il n’y avait rien à voir. De plus, elle était un peu la ville oubliée du pouvoir, et en première ligne lors des passages de cyclone…"
Le grand reporter, qui connaît l’île depuis des décennies parle de "schizophrénie" de ces Cubains vivant dans un pays appauvri par 50 ans de blocus américain… à 25km de la base US. Entre les deux, un no man’s land miné*. "Je connaissais l’histoire de la base mais c’est seulement après le 11 septembre que les gens ont découvert Guantánamo".
Une injustice que l’auteur a voulu contrer en faisant des habitants les vrais protagonistes du livre. On y retrouve l’esprit cubain, l’omniprésente nonchalance et un désir permanent d’indépendance. "Ils se demandent pourquoi on n’a jamais écouté leur revendication visant à récupérer ce territoire occupé et qu’on a parlé de Guantánamo seulement depuis les attentats. Ils le vivent mal".

La vie sans les Yankees ?
Plusieurs générations de Guantanameros ont côtoyé leur meilleur ennemi. Du coup, imagine-t-on la vie sans les Américains? "C’est une vraie ambiguïté" admet l’auteur qui rappelle qu’avant la Révolution, la base a longtemps accueilli des travailleurs cubains. Jusqu’à 7500, et encore 350 à l’arrivée de Bush fils. Aujourd’hui, seulement 2 Cubains sont autorisés à y pénétrer. Et pas des moindres. "Tous les mois, ils viennent chercher l’argent des pensions pour les retraités cubains ayant travaillé sur la base et ressortent pour le distribuer". La scène est surréaliste: puisque Bush avait interdit les relations bancaires entre les deux pays, un camion traverse la ville avec le magot de 100 000 dollars destiné à 100 bénéficiaires. L’enveloppe mensuelle est de 1000 dollars, bien au-dessus des 20 dollars de salaire moyen pour le cubain "normal". C’est Cuba, avec ses charmes et son lot de contradictions.
En attendant, la revendication de récupérer le territoire est toujours d’actualité. Cela passera d’abord par la fermeture de la prison (promesse non-tenue d’Obama) puis la restitution. "On a attendu 4 siècles pour se libérer des Espagnols... On gagnera cette bataille aussi" relativisent les Guantanameros. Qu’il vive à l’ouest ou à l’est de l’île, le Cubain ne perd jamais le nord…

Sébastien MADAU
* Les villages de Caimanera et Boqueron sont encore plus proches. Seulement 150 mètres pour Caimanera !
A lire: GUANTANAMO, de François Missen, Éditions Max Milo, 12 euros.

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